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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/263

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veillent à ce qu’il soit fait ainsi, ceux-là le négligent. Quand on doit traverser une gorge, il est difficile de trouver quelqu’un qui ne sache pas qu’on doit plutôt s’emparer des positions favorables que de ne pas le faire : et cependant il y en a qui négligent d’agir de la sorte, et d’autres non. De même, tout le monde dit que le fumier est excellent en agriculture, et l’on voit qu’il se produit de lui-même : cependant, bien qu’on sache comment il se fait et malgré la facilité qu’on a de s’en procurer à discrétion, les uns se préoccupent des moyens de l’amasser et les autres n’y songent pas.

« Le dieu du ciel nous envoie de l’eau qui convertit toutes les fosses en mares ; et la terre, de son côté, produit toutes sortes d’herbages : il faut nettoyer la terre quand on veut semer : arrachez ces herbes, jetez-les dans l’eau, et le temps vous donnera ce qui plaît à la terre. Quelle herbe, en effet, quelle terre ne devient pas fumier dans une eau stagnante ?

« Les soins qu’exige un terrain trop humide pour y semer, ou trop imprégné de sel pour y planter, personne ne les ignore ; l’on sait également comment l’eau s’écoule par des tranchées, et comment l’on corrige la salure, en y mêlant des substances douces, humides ou sèches ; cependant quelques-uns s’en occupent, et d’autres n’en font rien.

« Prenons un homme qui ne sache pas du tout ce que peut produire un terrain, qui n’en ait vu ni plante, ni fruit, qui ne puisse entendre de personne la vérité sur ce point, n’est-il pas plus facile à qui que ce soit de faire l’épreuve d’une terre que celle d’un cheval ou d’un homme ? Jamais la terre ne trompe ; elle dit simplement et nettement ce qu’elle peut ou non ; elle parle avec sincérité.

« Par suite, la terre me paraît faire connaître à plein les gens lâches et les gens actifs, grâce à la netteté et à la précision des connaissances qu’elle fournit. Il n’en est plus ici comme dans les autres métiers où ceux qui ne les exercent point peuvent prétexter leur ignorance : tout le monde sait que la terre rend le bien pour le bien ; et, dans l’agriculture, elle accuse hautement les âmes lâches. Que l’homme, en effet, puisse vivre sans le nécessaire, c’est ce que personne n’ira se persuader. Or, celui qui, n’ayant pas d’autre profession qui le fasse vivre, refuse de cultiver la terre, a certainement le projet de devenir voleur, brigand, mendiant pour vivre, ou bien il a tout à fait perdu l’esprit.