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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/282

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musicienne fait entendre sa flûte, et quelqu’un placé près de la danseuse lui donne des cerceaux jusqu’à douze. Elle les prend : aussitôt elle danse et les jette en l’air, en calculant à quelle hauteur elle doit les jeter pour les recevoir en cadence. Alors Socrate : « Il y a mille preuves, mes amis, et ce que fait cette enfant en est une nouvelle, que la nature de la femme n’est pas inférieure à celle de l’homme : il ne lui manque qu’un peu plus d’intelligence et de vigueur. Qu’ainsi ceux d’entre vous qui ont une femme lui apprennent résolûment tout ce qu’ils veulent qu’elle sache et qu’elle mette en pratique. — Eh bien, dit Antisthène, comment se fait-il, Socrate, qu’avec cette opinion tu n’apprennes rien à Xanthippe, mais que tu t’accommodes de cette femme, la plus acariâtre des créatures passées et à venir ? — C’est que je vois, répondit Socrate, que ceux qui veulent devenir bons écuyers ne se procurent pas les chevaux les plus dociles, mais les plus fougueux, persuadés que, s’ils les domptent, ils viendront facilement à bout des autres chevaux. De même moi, qui veux apprendre à vivre en société avec les hommes, j’ai pris Xanthippe, convaincu que, si je la supportais, je m’accommoderais facilement de tous les caractères. »

Ce discours ne parut pas s’éloigner trop du but. On apporte ensuite un cerceau garni d’épées, la pointe en haut : la danseuse y entre par une culbute et en sort par une autre, de manière à faire craindre aux spectateurs qu’elle ne se blesse, mais elle achève ses tours avec assurance et sans accident. Alors Socrate s’adressant directement à Antisthène : « Pour cette fois, dit-il, les spectateurs ne nieront pas, je crois, qu’on ne puisse donner des leçons de courage, puisque cette danseuse, toute femme qu’elle est, passe si hardiment à travers les épées. — En vérité, répond Antisthène, est-ce que ce Syracusain ne ferait pas parfaitement de montrer cette danseuse au public, et de dire aux Athéniens que, pour de l’argent, il apprendra à tous les citoyens d’Athènes à marcher résolûment contre les lances ? — Par Jupiter ! dit Philippe, que j’aurais, moi, de plaisir à voir l’orateur Pisandre[1] apprenant à courir tête baissée contre les lances, lui qui, à cette heure même, n’osant pas regarder une lance en face, refuse de marcher au combat ! »

  1. Plusieurs auteurs, et entre autres Aristophane, Athénée et Élien, se moquent de la pusillanimité et de la voracité de ce Pisandre.