Aller au contenu

Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Théramène. Ils entrent avec leurs valets, ayant à leur tête Satyrus, le plus audacieux et le plus impudent d’eux tous. Critias leur dit : « Nous vous livrons Théramène que voici, condamné selon la loi. Saisissez-le, et, après l’avoir conduit où il faut, faites ce que les Onze ont à faire. » À peine a-t-il dit ces mots que Satyrus arrache Théramène de l’autel, avec l’aide de ses valets. Théramène, comme on peut le croire, prend les dieux et les hommes à témoin de ce qui se passe. Mais le conseil ne remue pas, quand il voit les gens placés près des barres disposés à agir comme Satyrus, et tout le devant du tribunal rempli de gardes. Il savait aussi qu’il y avait là des hommes armés de poignards.

Les Onze emmènent à travers la place leur homme, qui crie à haute voix le traitement qu’on lui fait subir. On raconte de lui cette repartie. Satyrus lui disant que, s’il ne se tait pas, il s’en trouvera mal. « Et si je me tais, dit-il, m’en trouverai-je mieux ? » Ensuite, lorsque, forcé de mourir, il but la ciguë, on prétend qu’il versa le reste comme s’il jouait aux cottabes[1], en disant : « Voilà pour le beau Critias ! »

Je n’ignore pas que ce sont là des propos sans grande valeur, mais il y a cependant quelque chose de remarquable dans un homme qui, en face de la mort, ne perd ni de sa présence d’esprit, ni de son enjouement.


CHAPITRE IV.


Retour de Thrasybule. — Fin du gouvernement des Trente. — Décret d’amnistie.
(Avant J. C. 404.)


Ainsi mourut Théramène. Les Trente, libres alors d’exercer sans crainte leur tyrannie, interdisent à ceux dont les noms ne sont pas sur la liste d’entrer dans la ville ; mais il les font arracher des campagnes, afin de s’emparer de leurs terres pour eux et pour leurs amis. On s’enfuit au Pirée ; mais les Trente en ayant encore fait saisir plusieurs en cet endroit, les émigrants s’embarquent pour Mégare et pour Thèbes.

  1. Petit vase qu’on plaçait sur l’eau et dans lesquels on faisait tomber quelques gouttes pour les y enfoncer. — Voy. aussi, pour la mort de Théramène, les Tusculanes de Cicéron, I, xi, 95.