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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/641

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la situation sera sauvée, et que, s’il meurt, ce sera, selon lui, une fin glorieuse que de tomber en essayant de léguer à sa patrie la souveraineté de Péloponèse.

Toutefois ce ne sont point ces sentiments qui me le rendent admirable : car ce sont là les pensées de tous les hommes généreux. Mais avoir formé une armée à ne redouter nul travail, ni de jour, ni de nuit, à ne reculer devant aucun danger, à ne refuser jamais obéissance, lors même qu’elle manquait du nécessaire, voilà ce qui me paraît le plus digne d’admiration. Quand, pour la dernière fois, il commande à ses troupes de se préparer à une bataille, les cavaliers, à son ordre, se mettent avec ardeur à polir leurs casques, les hoplites arcadiens gravent sur leurs boucliers des marques, comme s’ils étaient Thébains[1], tous aiguisent leurs lames et leurs sabres et nettoient leurs boucliers. La manœuvre qu’il emploie, après s’être mis à la tête de ses troupes, mérite aussi considération. D’abord il se range en bataille, ainsi qu’il était naturel ; et en agissant ainsi, il paraissait indiquer qu’il se disposait au combat. Mais lorsque son armée est rangée comme il l’entend, il ne la conduit point à l’ennemi par le plus court chemin ; il marche vers les montagnes situées à l’occident et vis-à-vis de Tégée, en sorte qu’il fait croire à l’ennemi qu’il n’engagera pas la bataille ce jour-là. En effet, arrivé au pied de la montagne, il déploie son armée, et fait reposer les armes sous les hauteurs, de sorte qu’il a l’air de vouloir asseoir son camp. Par cette manœuvre, il amortit l’ardeur de l’ennemi, qui s’était dispersé au combat, et rompt son ordre de bataille. Mais après avoir fait converser sur le front les compagnies marchant par files, et former autour de lui un fort coin d’attaque, il fait de nouveau porter les armes et marcher en avant : ses troupes suivent.

Quand les ennemis les voient arriver contre leur attente, personne ne peut demeurer en place : les uns courent à leurs rangs, d’autres s’alignent, d’autres brident leurs chevaux, d’autres mettent leurs cuirasses : ils semblaient tous avoir plutôt à subir qu’à agir. Épaminondas conduisait son armée comme une trirème, la proue en avant, comptant enfoncer les ennemis à l’endroit où il donnerait, et anéantir ainsi toute leur armée. Il se préparait, en effet, à combattre avec les plus fortes troupes, et avait placé les plus faibles loin en arrière,

  1. Pour ce passage controversé j’ai suivi le texte de L. Dindorf.