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LES ROUGON-MACQUART.

Ça n’empêchait pas les deux ouvriers d’être camarades. Ils s’appelaient le matin, partaient ensemble, buvaient parfois un verre de bière avant de rentrer. Depuis le dîner du baptême, ils se tutoyaient, parce que dire toujours « vous », ça allonge les phrases. Leur amitié en restait là, quand la Gueule-d’Or rendit à Cadet-Cassis un fier service, un de ces services signalés dont on se souvient la vie entière. C’était au 2 décembre. Le zingueur, par rigolade, avait eu la belle idée de descendre voir l’émeute ; il se fichait pas mal de la République, du Bonaparte et de tout le tremblement ; seulement, il adorait la poudre, les coups de fusil lui semblaient drôles. Et il allait très-bien être pincé derrière une barricade, si le forgeron ne s’était rencontré là, juste à point pour le protéger de son grand corps et l’aider à filer. Goujet, en remontant la rue du Faubourg-Poissonnière, marchait vite, la figure grave. Lui, s’occupait de politique, était républicain, sagement, au nom de la justice et du bonheur de tous. Cependant, il n’avait pas fait le coup de fusil. Et il donnait ses raisons : le peuple se lassait de payer aux bourgeois les marrons qu’il tirait des cendres, en se brûlant les pattes ; février et juin étaient de fameuses leçons ; aussi, désormais, les faubourgs laisseraient-ils la ville s’arranger comme elle l’entendrait. Puis, arrivé sur la hauteur, rue des Poissonniers, il avait tourné la tête, regardant Paris ; on bâclait tout de même là-bas de la fichue besogne, le peuple un jour pourrait se repentir de s’être croisé les bras. Mais Coupeau ricanait, appelait trop bêtes les ânes qui risquaient leur peau, à la seule fin de conserver leurs vingt-cinq francs aux sacrés fainéants de la Chambre. Le soir, les Coupeau invitèrent les Goujet à dîner. Au dessert, Cadet-Cassis et la