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L’ASSOMOIR.

sât pas la tête davantage. Cette fois, en effet, il parut s’endormir.

Gervaise resta un moment indécise. Elle était tentée de repousser du pied le paquet de linge, de s’asseoir là, à coudre. La respiration régulière de Lantier finit par la rassurer. Elle prit la boule de bleu et le morceau de savon qui lui restaient de son dernier savonnage ; et, s’approchant des petits qui jouaient tranquillement avec de vieux bouchons, devant la fenêtre, elle les baisa, en leur disant à voix basse :

— Soyez bien sages, ne faites pas de bruit. Papa dort.

Quand elle quitta la chambre, les rires adoucis de Claude et d’Étienne sonnaient seuls dans le grand silence, sous le plafond noir. Il était dix heures. Une raie de soleil entrait par la fenêtre entr’ouverte.

Sur le boulevard, Gervaise tourna à gauche et suivit la rue Neuve de la Goutte-d’Or. En passant devant la boutique de madame Fauconnier, elle salua d’un petit signe de tête. Le lavoir était situé vers le milieu de la rue, à l’endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d’un bâtiment plat, trois énormes réservoirs d’eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, montraient leurs rondeurs grises ; tandis que, derrière, s’élevait le séchoir, un deuxième étage très-haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, au travers desquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. À droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d’une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habituée aux flaques, s’engagea sous la porte, encombrée de jarres d’eau de javelle. Elle connaissait déjà la