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LES ROUGON-MACQUART.

verres ; tandis que, derrière lui, les balanciers de deux ou trois douzaines de coucous tout petits battaient à la fois, dans la misère noire de la rue et le vacarme cadencé de la maréchalerie.

Le quartier trouvait Gervaise bien gentille. Sans doute, on clabaudait sur son compte, mais il n’y avait qu’une voix pour lui reconnaître de grands yeux, une bouche pas plus longue que ça, avec des dents très blanches. Enfin, c’était une jolie blonde, et elle aurait pu se mettre parmi les plus belles, sans le malheur de sa jambe. Elle était dans ses vingt-huit ans, elle avait engraissé. Ses traits fins s’empâtaient, ses gestes prenaient une lenteur heureuse. Maintenant, elle s’oubliait parfois sur le bord d’une chaise, le temps d’attendre son fer, avec un sourire vague, la face noyée d’une joie gourmande. Elle devenait gourmande ; ça, tout le monde le disait ; mais ce n’était pas un vilain défaut, au contraire. Quand on gagne de quoi se payer de fins morceaux, n’est-ce pas ? on serait bien bête de manger des pelures de pommes de terre. D’autant plus qu’elle travaillait toujours dur, se mettant en quatre pour ses pratiques, passant elle-même les nuits, les volets fermés, lorsque la besogne était pressée. Comme on disait dans le quartier, elle avait la veine ; tout lui prospérait. Elle blanchissait la maison, M. Madinier, mademoiselle Remanjou, les Boche ; elle enlevait même à son ancienne patronne, madame Fauconnier, des dames de Paris logées rue du Faubourg-Poissonnière. Dès la seconde quinzaine, elle avait dû prendre deux ouvrières, madame Putois et la grande Clémence, cette fille qui habitait autrefois au sixième ; ça lui faisait trois personnes chez elle, avec son apprentie, ce petit louchon d’Augustine, laide comme un der-