Page:Zola - L'Assommoir.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
LES ROUGON-MACQUART.

rien de flatteur en lui-même, à cause de la saleté de la forge et de l’embêtement de toujours taper sur les mêmes morceaux de fer, était un riche état, où l’on gagnait des dix et des douze francs par jour. Le petit, alors âgé de douze ans, pourrait s’y mettre bientôt, si le métier lui allait. Et Étienne était ainsi devenu un lien de plus entre la blanchisseuse et le forgeron. Celui-ci ramenait l’enfant, donnait des nouvelles de sa bonne conduite. Tout le monde disait en riant à Gervaise que Goujet avait un béguin pour elle. Elle le savait bien, elle rougissait comme une jeune fille, avec une fleur de pudeur qui lui mettait aux joues des tons vifs de pomme d’api. Ah ! le pauvre cher garçon, il n’était pas gênant ! Jamais il ne lui avait parlé de ça ; jamais un geste sale, jamais un mot polisson. On n’en rencontrait pas beaucoup de cette honnête pâte. Et, sans vouloir l’avouer, elle goûtait une grande joie à être aimée ainsi, pareillement à une sainte vierge. Quand il lui arrivait quelque ennui sérieux, elle songeait au forgeron ; ça la consolait. Ensemble, s’ils restaient seuls, ils n’étaient pas gênés du tout ; ils se regardaient avec des sourires, bien en face, sans se raconter ce qu’ils éprouvaient. C’était une tendresse raisonnable, ne songeant pas aux vilaines choses, parce qu’il faut encore mieux garder sa tranquillité, quand on peut s’arranger pour être heureux, tout en restant tranquille.

Cependant, Nana, vers la fin de l’été, bouleversa la maison. Elle avait six ans, elle s’annonçait comme une vaurienne finie. Sa mère la menait chaque matin, pour ne pas la rencontrer toujours sous ses pieds, dans une petite pension de la rue Polonceau, chez mademoiselle Josse. Elle y attachait par derrière les robes de ses camarades ; elle emplissait de cendre la