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L’ASSOMOIR.

paire de calottes, que Nana avait imaginé de jouer au médecin, là-bas, dans l’obscurité ; cette vicieuse donnait des remèdes aux autres, avec des bâtons.

Or, une après-midi, il y eut une scène affreuse. Ça devait arriver, d’ailleurs. Nana s’avisa d’un petit jeu bien drôle. Elle avait volé, devant la loge, un sabot à madame Boche. Elle l’attacha avec une ficelle, se mit à le traîner, comme une voiture. De son côté, Victor eut l’idée d’emplir le sabot de pelures de pomme. Alors, un cortège s’organisa. Nana marchait la première, tirant le sabot. Pauline et Victor s’avançaient à sa droite et à sa gauche. Puis, toute la flopée des mioches suivait en ordre, les grands d’abord, les petits ensuite, se bousculant ; un bébé en jupe, haut comme une botte, portant sur l’oreille un bourrelet défoncé, venait le dernier. Et le cortège chantait quelque chose de triste, des oh ! et des ah ! Nana avait dit qu’on allait jouer à l’enterrement ; les pelures de pomme, c’était le mort. Quand on eut fait le tour de la cour, on recommença. On trouvait ça joliment amusant.

— Qu’est-ce qu’ils font donc ? murmura madame Boche, qui sortit de la loge pour voir, toujours méfiante et aux aguets.

Et lorsqu’elle eut compris :

— Mais c’est mon sabot ! cria-t-elle furieuse. Ah ! les gredins !

Elle distribua des taloches, souffleta Nana sur les deux joues, flanqua un coup de pied à Pauline, cette grande dinde qui laissait prendre le sabot de sa mère. Justement, Gervaise emplissait un seau, à la fontaine. Quand elle aperçut Nana le nez en sang, étranglée de sanglots, elle faillit sauter au chignon de la concierge. Est-ce qu’on tapait sur un enfant comme sur un