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LES ROUGON-MACQUART.

un matin, Gervaise l’avait surprise vidant là son panier plein d’écales d’huîtres. Ah ! non, pour sûr, ces rapiats n’étaient pas larges des épaules, et toutes ces manigances venaient de leur rage à vouloir paraître pauvres. Eh bien ! on leur donnerait une leçon, on leur prouverait qu’on n’était pas chien. Gervaise aurait mis sa table au travers de la rue, si elle avait pu, histoire d’inviter chaque passant. L’argent, n’est-ce pas ? n’a pas été inventé pour moisir. Il est joli, quand il luit tout neuf au soleil. Elle leur ressemblait si peu maintenant, que, les jours où elle avait vingt sous, elle s’arrangeait de façon à laisser croire qu’elle en avait quarante.

Maman Coupeau et Gervaise parlèrent des Lorilleux, en mettant la table, dès trois heures. Elles avaient accroché de grands rideaux dans la vitrine ; mais, comme il faisait chaud, la porte restait ouverte, la rue entière passait devant la table. Les deux femmes ne posaient pas une carafe, une bouteille, une salière, sans chercher à y glisser une intention vexatoire pour les Lorilleux. Elles les avaient placés de manière à ce qu’ils pussent voir le développement superbe du couvert, et elles leur réservaient la belle vaisselle, sachant bien que les assiettes de porcelaine leur porteraient un coup.

— Non, non, maman, cria Gervaise, ne leur donnez pas ces serviettes-là ! J’en ai deux qui sont damassées.

— Ah bien ! murmura la vieille femme, ils en crèveront, c’est sûr.

Et elles se sourirent, debout aux deux côtés de cette grande table blanche, où les quatorze couverts alignés leur causaient un gonflement d’orgueil. Ça faisait comme une chapelle au milieu de la boutique.