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LES ROUGON-MACQUART.

Deux gouttes de gomme, au cœur de la fleur, imitaient deux gouttes de rosée. Puis, à gauche, un morceau de fromage blanc nageait dans un plat creux ; tandis que, dans un autre plat, à droite, s’entassaient de grosses fraises meurtries dont le jus coulait. Pourtant, il restait de la salade, de larges feuilles de romaine trempées d’huile.

— Voyons, madame Boche, dit obligeamment Gervaise, encore un peu de salade. C’est votre passion, je le sais.

— Non, non, merci ! j’en ai jusque-là, répondit la concierge.

La blanchisseuse s’étant tournée du côté de Virginie, celle-ci fourra son doigt dans sa bouche, comme pour toucher la nourriture.

— Vrai, je suis pleine, murmura-t-elle. Il n’y a plus de place. Une bouchée n’entrerait pas.

— Oh ! en vous forçant un peu, reprit Gervaise qui souriait. On a toujours un petit trou. La salade, ça se mange sans faim… Vous n’allez pas laisser perdre de la romaine ?

— Vous la mangerez confite demain, dit madame Lerat. C’est meilleur confit.

Ces dames soufflaient, en regardant d’un air de regret le saladier. Clémence raconta qu’elle avait un jour avalé trois bottes de cresson à son déjeuner. Madame Putois était plus forte encore, elle prenait des têtes de romaine sans les éplucher ; elle les broutait comme ça, à la croque-au-sel. Toutes auraient vécu de salade, s’en seraient payé des baquets. Et, cette conversation aidant, ces dames finirent le saladier.

— Moi, je me mettrais à quatre pattes dans un pré, répétait la concierge, la bouche pleine.