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L’ASSOMMOIR.

la cafetière et servit un verre de café à Lantier, qui d’ailleurs ne semblait pas s’occuper d’elle.

— Alors, c’est mon tour, bégayait Coupeau d’une voix pâteuse. Hein ! on me garde pour la bonne bouche… Eh bien ! je vais vous dire Qué cochon d’enfant !

— Oui, oui, Qué cochon d’enfant ! criait toute la table.

Le vacarme reprenait, Lantier était oublié. Les dames apprêtèrent leurs verres et leurs couteaux, pour accompagner le refrain. On riait à l’avance, en regardant le zingueur, qui se calait sur les jambes d’un air canaille. Il prit une voix enrouée de vieille femme.

Tous les matins, quand je m’lève,
J’ai l’cœur sens sus d’sous ;
J’l’envoi’ chercher contr’ la Grève
Un poisson d’ quatr’ sous.
Il rest’ trois quarts d’heure en route,
Et puis, en r’montant,
I’ m’ lich’ la moitié d’ ma goutte :
Qué cochon d’enfant !

Et les dames, tapant sur leur verre, reprirent en chœur, au milieu d’une gaieté formidable :

Qué cochon d’enfant !
Qué cochon d’enfant !

La rue de la Goutte-d’Or elle-même, maintenant, s’en mêlait. Le quartier chantait Qué cochon d’enfant ! En face, le petit horloger, les garçons épiciers, la tripière, la fruitière, qui savaient la chanson, allaient au refrain, en s’allongeant des claques pour rire. Vrai, la rue finissait par être soûle ; rien que l’odeur de noce qui sortait de chez les Coupeau, faisait festonner les gens sur les trottoirs. Il faut dire qu’à cette heure ils étaient joliment soûls, là dedans. Ça grandissait petit à petit, depuis le premier coup de vin pur, après le potage. À présent, c’était le bouquet, tous braillant, tous éclatant de nourriture, dans la buée rousse des