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LES ROUGON-MACQUART.

avait sevré son dernier, le petit Jules ; et c’est encore une chance, car l’enfant ne pâtira pas… N’importe, voilà cette gamine de Lalie chargée de deux mioches. Elle n’a pas huit ans, mais elle est sérieuse et raisonnable comme une vraie mère. Avec ça, son père la roue de coups… Ah bien ! on rencontre des êtres qui sont nés pour souffrir.

Goujet la regarda et dit brusquement, les lèvres tremblantes :

— Vous m’avez fait de la peine, hier, oh ! oui, beaucoup de peine…

Gervaise, pâlissant, avait joint les mains. Mais lui, continuait :

— Je sais, ça devait arriver… Seulement, vous auriez dû vous confier à moi, m’avouer ce qu’il en était, pour ne pas me laisser dans des idées…

Il ne put achever. Elle s’était levée, en comprenant que Goujet la croyait remise avec Lantier, comme le quartier l’affirmait. Et, les bras tendus, elle cria :

— Non, non, je vous jure… Il me poussait, il allait m’embrasser, c’est vrai ; mais sa figure n’a pas même touché la mienne, et c’était la première fois qu’il essayait… Oh ! tenez, sur ma vie, sur celle de mes enfants, sur tout ce que j’ai de plus sacré !

Cependant, le forgeron hochait la tête. Il se méfiait, parce que les femmes disent toujours non. Gervaise alors devint très grave, reprit lentement :

— Vous me connaissez, monsieur Goujet, je ne suis guère menteuse… Eh bien ! non, ça n’est pas, ma parole d’honneur !… Jamais ça ne sera, entendez-vous ? jamais ! Le jour où ça arriverait, je deviendrais la dernière des dernières, je ne mériterais plus l’amitié d’un honnête homme comme vous.

Et elle avait, en parlant, une si belle figure, toute