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L’ASSOMMOIR.

toutes tremblantes, tournaient la tête, en avaient assez, répétaient qu’elles en seraient malades, bien sûr. Et une bataille générale faillit avoir lieu ; on se traitait de sans-cœur, de propre à rien ; des bras nus se tendaient ; trois gifles retentirent.

Madame Boche, pourtant, cherchait le garçon du lavoir.

— Charles ! Charles !… Où est-il donc ?

Et elle le trouva au premier rang, regardant, les bras croisés. C’était un grand gaillard, à cou énorme. Il riait, il jouissait des morceaux de peau que les deux femmes montraient. La petite blonde était grasse comme une caille. Ça serait farce, si sa chemise se fendait.

— Tiens ! murmura-t-il en clignant un œil, elle a une fraise sous le bras.

— Comment ! vous êtes là ! cria madame Boche en l’apercevant. Mais aidez-nous donc à les séparer !… Vous pouvez bien les séparer, vous !

— Ah bien ! non, merci ! s’il n’y a que moi ! dit-il tranquillement. Pour me faire griffer l’œil comme l’autre jour, n’est-ce pas ?… Je ne suis pas ici pour ça, j’aurais trop de besogne… N’ayez pas peur, allez ! Ça leur fait du bien, une petite saignée. Ça les attendrit.

La concierge parla alors d’aller avertir les sergents de ville. Mais la maîtresse du lavoir, la jeune femme délicate, aux yeux malades, s’y opposa formellement. Elle répéta à plusieurs reprises :

— Non, non, je ne veux pas, ça compromet la maison.

Par terre, la lutte continuait. Tout d’un coup, Virginie se redressa sur les genoux. Elle venait de ramasser un battoir, elle le brandissait. Elle râlait, la voix changée :