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L’ASSOMMOIR.

heures, ça commençait à devenir dégoûtant, si bien que Lantier se taisait et songeait à filer ; du moment où l’on gueulait et où l’on fichait le vin par terre, ce n’était plus son genre. Justement, Coupeau se leva pour faire le signe de croix des pochards. Sur la tête il prononça Montpernasse, à l’épaule droite Menilmonte, à l’épaule gauche la Courtille, au milieu du ventre Bagnolet, et dans le creux de l’estomac trois fois Lapin sauté. Alors, le chapelier, profitant de la clameur soulevée par cet exercice, prit tranquillement la porte. Les camarades ne s’aperçurent même pas de son départ. Lui, avait déjà un joli coup de sirop. Mais, dehors, il se secoua, il retrouva son aplomb ; et il regagna tranquillement la boutique, où il raconta à Gervaise que Coupeau était avec des amis.

Deux jours se passèrent. Le zingueur n’avait pas reparu. Il roulait dans le quartier, on ne savait pas bien où. Des gens, pourtant, disaient l’avoir vu chez la mère Baquet, au Papillon, au Petit bonhomme qui tousse. Seulement, les uns assuraient qu’il était seul, tandis que les autres l’avaient rencontré en compagnie de sept ou huit soûlards de son espèce. Gervaise haussait les épaules d’un air résigné. Mon Dieu ! c’était une habitude à prendre. Elle ne courait pas après son homme ; même, si elle l’apercevait chez un marchand de vin, elle faisait un détour, pour ne pas le mettre en colère ; et elle attendait qu’il rentrât, écoutant la nuit s’il ne ronflait pas à la porte. Il couchait sur un tas d’ordures, sur un banc, dans un terrain vague, en travers d’un ruisseau. Le lendemain, avec son ivresse mal cuvée de la veille, il repartait, tapait aux volets des consolations, se lâchait de nouveau dans une course furieuse, au milieu des petits verres, des canons et des litres, perdant et retrouvant