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L’ASSOMMOIR.

les tournées. Il faisait très chaud, la fumée des pipes montait dans la clarté aveuglante du gaz, où elle roulait comme une poussière, noyant les consommateurs d’une buée, lentement épaissie ; et, de ce nuage, un vacarme sortait, assourdissant et confus, des voix cassées, des chocs de verre, des jurons et des coups de poing semblables à des détonations. Aussi Gervaise avait-elle pris sa figure en coin de rue, car une pareille vue n’est pas drôle pour une femme, surtout quand elle n’en a pas l’habitude ; elle étouffait, les yeux brûlés, la tête déjà alourdie par l’odeur d’alcool qui s’exhalait de la salle entière. Puis, brusquement, elle eut la sensation d’un malaise plus inquiétant derrière son dos. Elle se tourna, elle aperçut l’alambic, la machine à soûler, fonctionnant sous le vitrage de l’étroite cour, avec la trépidation profonde de sa cuisine d’enfer. Le soir, les cuivres étaient plus mornes, allumés seulement sur leur rondeur d’une large étoile rouge ; et l’ombre de l’appareil, contre la muraille du fond, dessinait des abominations, des figures avec des queues, des monstres ouvrant leurs mâchoires comme pour avaler le monde.

— Dis donc, Marie-bon-Bec, ne fais pas ta gueule ! cria Coupeau. Tu sais, à Chaillot les rabat-joie !… Qu’est-ce que tu veux boire ?

— Rien, bien sûr, répondit la blanchisseuse. Je n’ai pas dîné, moi.

— Eh bien ! raison de plus ; ça soutient, une goutte de quelque chose.

Mais, comme elle ne se déridait pas, Mes-Bottes se montra galant de nouveau.

— Madame doit aimer les douceurs, murmura-t-il.

— J’aime les hommes qui ne se soûlent pas, re-