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L’ASSOMMOIR.

culpa et dire qu’ils l’avaient eux-mêmes poussée dehors.

Un samedi, Nana trouva en rentrant son père et sa mère dans un état abominable. Coupeau, tombé en travers du lit, ronflait. Gervaise, tassée sur une chaise, roulait la tête avec des yeux vagues et inquiétants ouverts sur le vide. Elle avait oublié de faire chauffer le dîner, un restant de ragoût. Une chandelle, qu’elle ne mouchait pas, éclairait la misère honteuse du taudis.

— C’est toi, chenillon ? bégaya Gervaise. Ah bien ! ton père va te ramasser !

Nana ne répondait pas, restait toute blanche, regardait le poêle froid, la table sans assiettes, la pièce lugubre où cette paire de soûlards mettaient l’horreur blême de leur hébétement. Elle n’ôta pas son chapeau, fit le tour de la chambre ; puis, les dents serrées, elle rouvrit la porte, elle s’en alla.

— Tu redescends ? demanda sa mère, sans pouvoir tourner la tête.

— Oui, j’ai oublié quelque chose. Je vais remonter… Bonsoir.

Et elle ne revint pas. Le lendemain, les Coupeau, dessoûlés, se battirent, en se jetant l’un l’autre à la figure l’envolement de Nana. Ah ! elle était loin, si elle courait toujours ! Comme on dit aux enfants pour les moineaux, les parents pouvaient aller lui mettre un grain de sel au derrière, ils la rattraperaient peut-être. Ce fut un grand coup qui écrasa encore Gervaise ; car elle sentit très bien, malgré son avachissement, que la culbute de sa petite, en train de se faire caramboler, l’enfonçait davantage, seule maintenant, n’ayant plus d’enfant à respecter, pouvant se lâcher aussi bas qu’elle tomberait. Oui, ce chameau dénaturé