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LES ROUGON-MACQUART.

s’en allait sur le boulevard extérieur, blême et farouche, il lui cria encore :

— Écoute donc, rapporte-moi du dessert, moi j’aime les gâteaux… Et, si ton monsieur est bien nippé, demande-lui un vieux paletot, j’en ferai mon beurre.

Gervaise, poursuivie par ce bagou infernal, marchait vite. Puis, elle se trouva seule au milieu de la foule, elle ralentit le pas. Elle était bien résolue. Entre voler et faire ça, elle aimait mieux faire ça, parce qu’au moins elle ne causerait du tort à personne. Elle n’allait jamais disposer que de son bien. Sans doute, ce n’était guère propre ; mais le propre et le pas propre se brouillaient dans sa caboche, à cette heure ; quand on crève de faim, on ne cause pas tant philosophie, on mange le pain qui se présente. Elle était remontée jusqu’à la chaussée Clignancourt. La nuit n’en finissait plus d’arriver. Alors, en attendant, elle suivit les boulevards, comme une dame qui prend l’air avant de rentrer pour la soupe.

Ce quartier où elle éprouvait une honte, tant il embellissait, s’ouvrait maintenant de toutes parts au grand air. Le boulevard Magenta, montant du cœur de Paris, et le boulevard Ornano, s’en allant dans la campagne, l’avaient troué à l’ancienne barrière, un fier abattis de maisons, deux vastes avenues encore blanches de plâtre, qui gardaient à leurs flancs les rues du Faubourg-Poissonnière et des Poissonniers, dont les bouts s’enfonçaient, écornés, mutilés, tordus comme des boyaux sombres. Depuis longtemps, la démolition du mur de l’octroi avait déjà élargi les boulevards extérieurs, avec les chaussées latérales et le terre-plein au milieu pour les piétons, planté de quatre rangées de petits platanes. C’était un carrefour