Page:Zola - L'Assommoir.djvu/555

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
555
L’ASSOMMOIR.

savez, une goutte par-ci, une goutte par-là… Oh ! la famille est très bien !… Il y a eu un frère, mort très jeune dans des convulsions.

Le médecin la regardait de son œil perçant. Il reprit, de sa voix brutale :

— Vous buvez aussi, vous ?

Gervaise bégaya, se défendit, posa la main sur son cœur pour donner sa parole sacrée.

— Vous buvez ! Prenez garde, voyez où mène la boisson… Un jour ou l’autre, vous mourrez ainsi.

Alors, elle resta collée contre le mur. Le médecin avait tourné le dos. Il s’accroupit, sans s’inquiéter s’il ne ramassait pas la poussière du paillasson avec sa redingote ; il étudia longtemps le tremblement de Coupeau, l’attendant au passage, le suivant du regard. Ce jour-là, les jambes sautaient à leur tour, le tremblement était descendu des mains dans les pieds ; un vrai polichinelle, dont on aurait tiré les fils, rigolant des membres, le tronc raide comme du bois. Le mal gagnait petit à petit. On aurait dit une musique sous la peau ; ça partait toutes les trois ou quatre secondes, roulait un instant ; puis ça s’arrêtait et ça reprenait, juste le petit frisson qui secoue les chiens perdus, quand ils ont froid l’hiver, sous une porte. Déjà le ventre et les épaules avaient un frémissement d’eau sur le point de bouillir. Une drôle de démolition tout de même, s’en aller en se tordant, comme une fille à laquelle les chatouilles font de l’effet !

Coupeau, cependant, se plaignait d’une voix sourde. Il semblait souffrir beaucoup plus que la veille. Ses plaintes entrecoupées laissaient deviner toutes sortes de maux. Des milliers d’épingles le piquaient. Il avait partout sur la peau quelque chose de pesant ; une