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LES ROUGON-MACQUART.

sait, tout s’envolait. Mais il n’avait pas le temps de souffler, d’autres tableaux passaient, avec une mobilité extraordinaire. Un besoin furieux de parler lui emplissait la bouche de mots, qu’il lâchait sans suite, avec un barbotement de la gorge. Il haussait toujours la voix.

— Tiens, c’est toi, bonjour !… Pas de blague ! ne me fais pas manger tes cheveux.

Et il passait la main devant son visage, il soufflait pour écarter des poils. L’interne l’interrogea :

— Qui voyez-vous donc ?

— Ma femme, pardi !

Il regardait le mur, tournant le dos à Gervaise.

Celle-ci eut un joli trac, et elle examina aussi le mur, pour voir si elle ne s’apercevait pas. Lui, continuait de causer.

— Tu sais, ne m’embobine pas… Je ne veux pas qu’on m’attache… Fichtre ! te voilà belle, t’as une toilette chic. Où as-tu gagné ça, vache ! Tu viens de la retape, chameau ! Attends un peu que je t’arrange !… Hein ? tu caches ton monsieur derrière tes jupes. Qu’est-ce que c’est que celui-là ? Fais donc la révérence, pour voir… Nom de Dieu ! c’est encore lui !

D’un saut terrible, il alla se heurter la tête contre la muraille ; mais la tenture rembourrée amortit le coup. On entendit seulement le rebondissement de son corps sur le paillasson, où la secousse l’avait jeté.

— Qui voyez-vous donc ? répéta l’interne.

— Le chapelier ! le chapelier ! hurlait Coupeau.

Et, l’interne ayant interrogé Gervaise, celle-ci bégaya sans pouvoir répondre, car cette scène remuait en elle tous les embêtements de sa vie. Le zingueur allongeait les poings.