Page:Zola - La Confession de Claude (Charpentier 1893).djvu/146

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n’apercevions qu’eau & verdure, que de petits coins de ciel, le sommet d’une montagne lointaine, les vignes du champ voisin. Et nous vivions ainsi dans le silence & la fraîcheur. Assis sur la rive, dans l’herbe fine, les jambes pendantes, les pieds nus effleurant l’eau, nous jouissions de notre jeunesse & de notre amitié. Que de beaux rêves nous avons faits sur ces berges dont le flot chaque jour emporte quelques graviers ! Nos rêves s’en vont ainsi, emportés par la vie.

Aujourd’hui les souvenirs sont durs & implacables pour moi. À certaines heures, dans mon oisiveté, brusquement, un souvenir de cet âge m’arrive, aigu & douloureux, avec la violence d’un coup de bâton. Je sens une brûlure me traverser la poitrine. C’est ma jeunesse qui s’éveille en moi, désolée & mourante. Je me prends la tête entre les mains, retenant mes sanglots ; je m’enfonce avec une volupté amère dans l’histoire des jours passés, & j’ai plai-