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LES ROUGON-MACQUART

tion, jouant du piano, parlant anglais, était une blonde toute mignonne, si délicate, qu’elle pliait sous le rude poids de Bordenave, souriante et soumise pourtant. Il posa quelques secondes, sentant qu’ils faisaient tableau tous les deux.

— Hein ? il faut vous aimer, continua-t-il. Ma foi, j’ai eu peur de m’embêter, je me suis dit : J’y vais…

Mais il s’interrompit pour lâcher un juron.

— Cré nom de Dieu !

Simonne avait fait un pas trop vite, son pied venait de porter. Il la bouscula. Elle, sans cesser de sourire, baissant son joli visage comme une bête qui a peur d’être battue, le soutenait de toutes ses forces de petite blonde potelée. D’ailleurs, au milieu des exclamations, on s’empressait. Nana et Rose Mignon roulaient un fauteuil, dans lequel Bordenave se laissa aller, pendant que les autres femmes lui glissaient un second fauteuil sous la jambe. Et toutes les actrices qui étaient là, l’embrassèrent, naturellement. Il grognait, il soupirait.

— Cré nom de Dieu ! cré nom de Dieu !… Enfin, l’estomac est solide, vous verrez ça.

D’autres convives étaient arrivés. On ne pouvait plus remuer dans la pièce. Les bruits de vaisselle et d’argenterie avaient cessé ; maintenant, une querelle venait du grand salon, où grondait la voix furieuse du maître d’hôtel. Nana s’impatientait, n’attendant plus d’invités, s’étonnant qu’on ne servît pas. Elle avait envoyé Georges demander ce qui se passait, lorsqu’elle resta très surprise de voir encore entrer du monde, des hommes, des femmes. Ceux-là, elle ne les connaissait pas du tout. Alors, un peu embarrassée, elle interrogea Bordenave, Mignon, Labordette. Ils ne les connaissaient pas non plus. Quand