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LES ROUGON-MACQUART

ne se connaissaient pas, se regardaient, les femmes restaient tranquilles ; et c’était surtout là le grand étonnement de Georges. Il les trouvait « popote», il avait cru qu’on allait s’embrasser tout de suite.

On servait les relevés, une carpe du Rhin à la Chambord et une selle de chevreuil à l’anglaise, lorsque Blanche dit tout haut :

— Lucy, ma chère, j’ai rencontré votre Ollivier, dimanche… Comme il a grandi !

— Dame ! il a dix-huit ans, répondit Lucy ; ça ne me rajeunit guère… Il est reparti hier pour son école.

Son fils Ollivier, dont elle parlait avec fierté, était élève à l’école de marine. Alors, on causa des enfants. Toutes ces dames s’attendrissaient. Nana dit ses grandes joies : son bébé, le petit Louis, était maintenant chez sa tante, qui l’amenait chaque matin, vers onze heures ; et elle le prenait dans son lit, où il jouait avec Lulu, son griffon. C’était à mourir de rire de les voir tous les deux se fourrer sous la couverture, au fond. On n’avait pas idée comme Louiset était déjà fûté.

— Oh ! hier, j’ai passé une journée ! raconta à son tour Rose Mignon. Imaginez-vous que j’étais allée chercher Charles et Henri à leur pensionnat ; et il a fallu absolument les mener le soir au théâtre… Ils sautaient, ils tapaient leurs petites mains : « Nous verrons jouer maman ! nous verrons jouer maman !… » Oh ! un train, un train !

Mignon souriait complaisamment, les yeux humides de tendresse paternelle.

— Et, à la représentation, continua-t-il, ils étaient si drôles, sérieux comme des hommes, mangeant Rose du regard, me demandant pourquoi maman avait comme ça les jambes nues…

Toute la table se mit à rire. Mignon triomphait,