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LES ROUGON-MACQUART

mait. Steiner, inquiet depuis un instant, questionna Vandeuvres au sujet du vieux monsieur, disparu lui aussi. Mais le comte le rassura, il venait de reconduire le vieillard ; un personnage étranger dont il était inutile de dire le nom, un homme très riche qui se contentait de payer les soupers. Puis, comme on oubliait de nouveau Nana, Vandeuvres aperçut Daguenet, la tête à une porte, l’appelant d’un signe. Et, dans la chambre à coucher, il trouva la maîtresse de maison assise, raidie, les lèvres blanches, tandis que Daguenet et Georges, debout, la regardaient d’un air consterné.

— Qu’avez-vous donc ? demanda-t-il surpris.

Elle ne répondit pas, elle ne tourna pas la tête. Il répéta sa question.

— J’ai, cria-t-elle enfin, que je ne veux pas qu’on se foute de moi !

Alors, elle lâcha ce qui lui vint à la bouche. Oui, oui, elle n’était pas une bête, elle voyait clair. On s’était fichu d’elle pendant le souper, on avait dit des horreurs pour montrer qu’on la méprisait. Un tas de salopes qui ne lui allaient pas à la cheville ! Plus souvent qu’elle se donnerait encore du tintouin, histoire de se faire bêcher ensuite ! Elle ne savait pas ce qui la retenait de flanquer tout ce sale monde à la porte. Et, la rage l’étranglant, sa voix se brisa dans des sanglots.

— Voyons, ma fille, tu es grise, dit Vandeuvres, qui se mit à la tutoyer. Il faut être raisonnable.

Non, elle refusait d’avance, elle resterait là.

— Je suis grise, c’est possible. Mais je veux qu’on me respecte.

Depuis un quart d’heure, Daguenet et Georges la suppliaient vainement de revenir dans la salle à manger. Elle s’entêtait, ses invités pouvaient bien faire