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NANA

jours le rideau d’une main, comme pour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement.

— Oui, j’ai été surprise, jamais je n’oserai… balbutiait-elle, en jouant la confusion, avec des tons roses sur le cou et des sourires embarrassés.

— Allez donc, puisqu’on vous trouve très bien ! cria Bordenave.

Elle risqua encore des mines hésitantes d’ingénue, se remuant comme chatouillée, répétant :

— Son Altesse me fait trop d’honneur… Je prie Son Altesse de m’excuser, si je la reçois ainsi…

— C’est moi qui suis importun, dit le prince ; mais je n’ai pu, madame, résister au désir de vous complimenter…

Alors, tranquillement, pour aller à la toilette, elle passa en pantalon au milieu de ces messieurs, qui s’écartèrent. Elle avait les hanches très fortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la poitrine en avant, elle saluait encore avec son fin sourire. Tout d’un coup, elle parut reconnaître le comte Muffat, et elle lui tendit la main, en amie. Puis, elle le gronda de n’être pas venu à son souper. Son Altesse daignait plaisanter Muffat, qui bégayait, frissonnant d’avoir tenu une seconde, dans sa main brûlante, cette petite main, fraîche des eaux de toilette. Le comte avait fortement dîné chez le prince, grand mangeur et beau buveur. Tous deux étaient même un peu gris. Mais ils se tenaient très bien. Muffat, pour cacher son trouble, ne trouva qu’une phrase sur la chaleur.

— Mon Dieu ! qu’il fait chaud ici, dit-il. Comment faites-vous, madame, pour vivre dans une pareille température ?

Et la conversation allait partir de là, lorsque des voix bruyantes s’élevèrent à la porte de la loge. Bordenave tira la planchette d’un judas grillé de couvent.