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LES ROUGON-MACQUART

casser sortait par les fenêtres, se mourait au loin dans la sérénité du soir ; tandis que les paysans, attardés entre les haies, tournant la tête, regardaient la maison flambante.

— Ah ! c’est embêtant que vous repartiez après-demain, dit Nana. Enfin, nous allons toujours organiser quelque chose.

Et l’on décida qu’on irait le lendemain, un dimanche, visiter les ruines de l’ancienne abbaye de Chamont, qui se trouvaient à sept kilomètres. Cinq voitures viendraient d’Orléans prendre la société après le déjeuner, et la ramèneraient dîner à la Mignotte, vers sept heures. Ce serait charmant.

Ce soir-là, comme d’habitude, le comte Muffat monta le coteau pour sonner à la grille. Mais le flamboiement des fenêtres, les grands rires, l’étonnèrent. Il comprit, en reconnaissant la voix de Mignon, et s’éloigna, enragé par ce nouvel obstacle, poussé à bout, résolu à quelque violence. Georges, qui passait par une petite porte dont il avait une clef, monta tranquillement dans la chambre de Nana, en filant le long des murs. Seulement, il dut l’attendre jusqu’à minuit passé. Elle parut enfin, très grise, plus maternelle encore que les autres nuits ; quand elle buvait, ça la rendait si amoureuse, qu’elle en devenait collante. Ainsi, elle voulait absolument qu’il l’accompagnât à l’abbaye de Chamont. Lui résistait, ayant peur d’être vu ; si on l’apercevait en voiture avec elle, ça ferait un scandale abominable. Mais elle fondit en larmes, prise d’un désespoir bruyant de femme sacrifiée, et il la consola, il lui promit formellement d’être de la partie.

— Alors, tu m’aimes bien, bégayait-elle. Répète que tu m’aimes bien… Dis ? mon loup chéri, si je mourais, est-ce que ça te ferait beaucoup de peine ?