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LES ROUGON-MACQUART

sur Georges un long regard. Au sortir de table, il monta s’enfermer, en parlant d’un peu de fièvre. Derrière lui, M. Venot s’était précipité ; et il y eut, en haut, une scène, le comte tombé sur le lit, étouffant dans son oreiller des sanglots nerveux, tandis que M. Venot, d’une voix douce, l’appelait son frère et lui conseillait d’implorer la miséricorde divine. Il ne l’entendait pas, il râlait. Tout d’un coup, il sauta du lit, il bégaya :

— J’y vais… Je ne peux plus…

— C’est bien, dit le vieillard, je vous accompagne.

Comme ils sortaient, deux ombres s’enfonçaient dans les ténèbres d’une allée. Tous les soirs, Fauchery et la comtesse Sabine laissaient maintenant Daguenet aider Estelle à préparer le thé. Sur la grande route, le comte marchait si vite, que son compagnon devait courir pour le suivre. Essoufflé, ce dernier ne cessait de lui prodiguer les meilleurs arguments contre les tentations de la chair. L’autre n’ouvrait pas la bouche, emporté dans la nuit. Arrivé devant la Mignotte, il dit simplement :

— Je ne peux plus… Allez-vous-en.

— Alors, que la volonté de Dieu soit faite, murmura M. Venot. Il prend tous les chemins pour assurer son triomphe… Votre péché sera une de ses armes.

À la Mignotte, on se querella pendant le repas. Nana avait trouvé une lettre de Bordenave, où il lui conseillait de prendre du repos, en ayant l’air de se ficher d’elle ; la petite Violaine était rappelée deux fois tous les soirs. Et, comme Mignon la pressait encore de partir le lendemain avec eux, Nana, exaspérée, déclara qu’elle entendait ne pas recevoir de conseils. D’ailleurs, elle s’était montrée, à table, d’un collet-monté ridicule. Madame Lerat, ayant lâché un mot