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NANA

naîtrait bien Sabine. Rien de plus simple, pas de scandale, et une certitude. Il suffisait de rester là. De tous les sentiments confus qui l’avaient agité, il ne ressentait maintenant qu’un sourd besoin de savoir. Mais l’ennui l’endormait sous cette porte ; pour se distraire, il tâcha de calculer le temps qu’il lui faudrait attendre. Sabine devait se trouver à la gare vers neuf heures. Cela lui donnait près de quatre heures et demie. Il était plein de patience, il n’aurait plus remué, trouvant un charme à rêver que son attente dans la nuit serait éternelle.

Tout d’un coup, la raie de lumière s’effaça. Ce fait très simple fut pour lui une catastrophe inattendue, quelque chose de désagréable et de troublant. Évidemment, ils venaient d’éteindre la lampe, ils allaient dormir. À cette heure, c’était raisonnable. Mais il s’en irrita, parce que cette fenêtre noire, à présent, ne l’intéressait plus. Il la regarda un quart d’heure encore, puis elle le fatigua, il quitta la porte et fit quelques pas sur le trottoir. Jusqu’à cinq heures, il se promena, allant et venant, levant les yeux de temps à autre. La fenêtre restait morte ; par moments, il se demandait s’il n’avait pas rêvé que des ombres dansaient là, sur ces vitres. Une fatigue immense l’accablait, une hébétude dans laquelle il oubliait ce qu’il attendait à ce coin de rue, butant contre les pavés, se réveillant en sursaut avec le frisson glacé d’un homme qui ne sait plus où il est. Rien ne valait la peine qu’on se donnât du souci. Puisque ces gens dormaient, il fallait les laisser dormir. À quoi bon se mêler de leurs affaires ? Il faisait très noir, personne ne saurait jamais ces choses. Et alors tout en lui, jusqu’à sa curiosité, s’en alla, emporté dans une envie d’en finir, de chercher quelque part un soulagement. Le froid augmentait,