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NANA

rassemblement barrait le trottoir, une queue d’hommes descendus du perron respirant la fraîcheur de la nuit, au milieu du ronflement ralenti du boulevard.

Cependant Mignon venait d’entraîner Steiner au café des Variétés. Voyant le succès de Nana, il s’était mis à parler d’elle avec enthousiasme, tout en surveillant le banquier du coin de l’œil. Il le connaissait, deux fois il l’avait aidé à tromper Rose, puis, le caprice passé, l’avait ramené, repentant et fidèle. Dans le café, les consommateurs trop nombreux se serraient autour des tables de marbre ; quelques-uns buvaient debout, précipitamment ; et les larges glaces reflétaient à l’infini cette cohue de têtes, agrandissaient démesurément l’étroite salle, avec ses trois lustres, ses banquettes de moleskine, son escalier tournant drapé de rouge. Steiner alla se placer à une table de la première salle, ouverte sur le boulevard, dont on avait enlevé les portes un peu tôt pour la saison. Comme Fauchery et la Faloise passaient, le banquier les retint.

— Venez donc prendre un bock avec nous.

Mais une idée le préoccupait, il voulait rejeter un bouquet à Nana. Enfin, il appela un garçon du café, qu’il nommait familièrement Auguste. Mignon, qui écoutait, le regarda d’un œil si clair, qu’il se troubla, en balbutiant :

— Deux bouquets, Auguste, et remettez-les à l’ouvreuse ; un pour chacune de ces dames, au bon moment, n’est-ce pas ?

À l’autre bout de la salle, la nuque appuyée contre le cadre d’une glace, une fille de dix-huit ans au plus se tenait immobile devant un verre vide, comme engourdie par une longue et vaine attente. Sous les frisures naturelles de ses beaux cheveux