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LES ROUGON-MACQUART

— Est-ce qu’elle est là ? demanda-t-il en se penchant vers Bordenave.

Celui-ci répondit affirmativement, d’un signe de tête. Avant d’accepter le rôle de Géraldine qu’il lui offrait, Nana avait voulu voir la pièce, car elle hésitait à jouer encore un rôle de cocotte. C’était un rôle d’honnête femme qu’elle rêvait. Elle se cachait dans l’ombre d’une baignoire avec Labordette, qui s’employait pour elle auprès de Bordenave. Fauchery la chercha d’un coup d’œil, et se remit à suivre la répétition.

Seule, l’avant-scène était éclairée. Une servante, une flamme de gaz prise à l’embranchement de la rampe, et dont un réflecteur jetait toute la clarté sur les premiers plans, semblait un grand œil jaune ouvert dans la demi-obscurité, où il flambait avec une tristesse louche. Contre la mince tige de la servante, Cossard levait le manuscrit, pour voir clair, en plein sous le coup de lumière qui accusait le relief de sa bosse. Puis, Bordenave et Fauchey déjà se noyaient. C’était, au milieu de l’énorme vaisseau, et sur quelques mètres seulement, une lueur de falot, cloué au poteau d’une gare, dans laquelle les acteurs prenaient des airs de visions baroques, avec leurs ombres dansant derrière eux. Le reste de la scène s’emplissait d’une fumée, pareil à un chantier de démolitions, à une nef éventrée, encombrée d’échelles, de châssis, de décors, dont les peintures déteintes faisaient comme des entassements de décombres ; et, en l’air, les toiles de fond qui pendaient avaient une apparence de guenilles accrochées aux poutres de quelque vaste magasin de chiffons. Tout en haut, un rayon de clair soleil, tombé d’une fenêtre, coupait d’une barre d’or la nuit du cintre.

Cependant, au fond de la scène, des acteurs cau-