Page:Zola - Nana.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
NANA

un banc de mousse, Vénus appela Mars auprès d’elle. Jamais encore on n’avait osé une scène de séduction plus chaude. Nana, les bras au cou de Prullière, l’attirait, lorsque Fontan, se livrant à une mimique de fureur cocasse, exagérant le masque d’un époux outragé qui surprend sa femme en flagrant délit, parut dans le fond de la grotte. Il tenait le fameux filet aux mailles de fer. Un instant, il le balança, pareil à un pêcheur qui va jeter un coup d’épervier ; et, par un truc ingénieux, Vénus et Mars furent pris au piège, le filet les enveloppa, les immobilisa dans leur posture d’amants heureux.

Un murmure grandit, comme un soupir qui se gonflait. Quelques mains battirent, toutes les jumelles étaient fixées sur Vénus. Peu à peu, Nana avait pris possession du public, et maintenant chaque homme la subissait. Le rut qui montait d’elle, ainsi que d’une bête en folie, s’était épandu toujours davantage, emplissant la salle. À cette heure, ses moindres mouvements soufflaient le désir, elle retournait la chair d’un geste de son petit doigt. Des dos s’arrondissaient, vibrant comme si des archets invisibles se fussent promenés sur les muscles ; des nuques montraient des poils follets qui s’envolaient, sous des haleines tièdes et errantes, venues on ne savait de quelle bouche de femme. Fauchery voyait devant lui l’échappé de collège que la passion soulevait de son fauteuil. Il eut la curiosité de regarder le comte de Vandeuvres, très pâle, les lèvres pincées, le gros Steiner, dont la face apoplectique crevait, Labordette lorgnant d’un air étonné de maquignon qui admire une jument parfaite, Daguenet dont les oreilles saignaient et remuaient de jouissance. Puis, un instinct lui fit jeter un coup d’œil en arrière, et il resta étonné de ce qu’il aperçut dans la loge des