Page:Zola - Nana.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
335
NANA

qu’elle en touchait seulement cent cinquante chez lui, c’était quinze mille francs de gain pour elle, du moment où il la laissait partir. Le mari ne lâchait pas non plus le terrain de l’art : que dirait-on, si l’on voyait enlever le rôle à sa femme ? qu’elle n’était pas suffisante, qu’on avait dû la remplacer ; de là un tort considérable, une diminution pour l’artiste. Non, non, jamais ! la gloire avant la richesse ! Et, tout d’un coup, il indiqua une transaction : Rose, par son traité, avait à payer un dédit de dix mille francs, si elle se retirait ; eh bien ! qu’on lui donnât dix mille francs, et elle irait aux Folies-Dramatiques. Bordenave resta étourdi, pendant que Mignon, qui n’avait pas quitté le comte des yeux, attendait tranquillement.

— Alors tout s’arrange, murmura Muffat soulagé ; on peut s’entendre.

— Ah ! non, par exemple ! ce serait trop bête ! cria Bordenave, emporté par ses instincts d’homme d’affaires. Dix mille francs pour lâcher Rose ! on se ficherait de moi !

Mais le comte lui ordonnait d’accepter, en multipliant les signes de tête. Il hésita encore. Enfin, grognant, regrettant les dix mille francs, bien qu’ils ne dussent pas sortir de sa poche, il reprit avec brutalité :

— Après tout, je veux bien. Au moins, je serai débarrassé de vous.

Depuis un quart d’heure, Fontan écoutait dans la cour. Très intrigué, il était descendu se poster à cette place. Quand il eut compris, il remonta et se donna le régal d’avertir Rose. Ah bien ! on en faisait un potin sur son compte, elle était rasée. Rose courut au magasin des accessoires. Tous se turent. Elle regarda les quatre hommes. Muffat baissa la tête, Fau-