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NANA

À ce moment, Vandeuvres tenta une diversion, en se jetant à travers les souvenirs de ces dames.

— Dites donc, ma chère, je reprendrais volontiers des truffes… Elles sont exquises. J’en ai mangé hier chez le duc de Corbreuse, qui ne les valaient pas.

— Julien, les truffes ! dit rudement Nana.

Puis, revenant :

— Ah ! dame, papa n’était guère raisonnable… Aussi, quelle dégringolade ! Si tu avais vu ça, un plongeon, une dèche !… Je peux dire que j’en ai supporté de toutes les couleurs, et c’est miracle si je n’y ai pas laissé ma peau, comme papa et maman.

Cette fois, Muffat, qui jouait avec un couteau, énervé, se permit d’intervenir.

— Ce n’est pas gai, ce que vous racontez là.

— Hein ? quoi ? pas gai ! cria-t-elle en le foudroyant d’un regard. Je crois bien que ce n’est pas gai !… Il fallait nous apporter du pain, mon cher… Oh ! moi, vous savez, je suis une bonne fille, je dis les choses comme elles sont. Maman était blanchisseuse, papa se soûlait, et il en est mort. Voilà ! Si ça ne vous convient pas, si vous avez honte de ma famille…

Tous protestèrent. Qu’allait-elle chercher là ! on respectait sa famille. Mais elle continuait :

— Si vous avez honte de ma famille, eh bien ! laissez-moi, parce que je ne suis pas une de ces femmes qui renient leur père et leur mère… Il faut me prendre avec eux, entendez-vous !

Ils la prenaient, ils acceptaient le papa, la maman, le passé, ce qu’elle voudrait. Les yeux sur la table, tous quatre maintenant se faisaient petits, tandis qu’elle les tenait sous ses anciennes savates boueuses de la rue de la Goutte-d’Or, avec l’empor-