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NANA

— Un aventurier, disait madame Du Joncquoy. Moi, je ne l’ai jamais vu.

— Prenez garde, le voici, murmura madame Chantereau.

Daguenet, qui avait aperçu madame Hugon avec ses fils, s’était empressé de lui offrir le bras ; et il riait, il lui témoignait une effusion de tendresse, comme si elle eût travaillé pour une part à son coup de fortune.

— Je vous remercie, dit-elle en s’asseyant près de la cheminée. Voyez-vous, c’est mon ancien coin.

— Vous le connaissez ? demanda madame Du Joncquoy, lorsque Daguenet fut parti.

— Certainement, un charmant jeune homme. Georges l’aime beaucoup… Oh ! une famille des plus honorables.

Et la bonne dame le défendit contre une sourde hostilité qu’elle sentait. Son père, très estimé de Louis-Philippe, avait occupé jusqu’à sa mort une préfecture. Lui, s’était un peu dissipé, peut-être. On le prétendait ruiné. En tout cas, un de ses oncles, un grand propriétaire, devait lui laisser sa fortune. Mais ces dames hochaient la tête, pendant que madame Hugon, gênée elle-même, revenait toujours à l’honorabilité de la famille. Elle était très lasse, elle se plaignit de ses jambes. Depuis un mois, elle habitait sa maison de la rue Richelieu, pour un tas d’affaires, disait-elle. Une ombre de tristesse voilait son maternel sourire.

— N’importe, conclut madame Chantereau, Estelle aurait pu prétendre à beaucoup mieux.

Il y eut une fanfare. C’était un quadrille, le monde refluait aux deux côtés du salon, pour laisser la place libre. Des robes claires passaient, se mêlaient, au milieu des taches sombres des habits ; tandis que la