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LES ROUGON-MACQUART

des mois, qui avait fini par accepter les inconnus, tout ce troupeau d’hommes galopant au travers de l’alcôve de Nana, s’emportait à l’idée d’être trompé par quelqu’un de son monde ou simplement de sa connaissance. Quand elle lui avoua ses rapports avec Foucarmont, il souffrit tellement, il trouva la trahison du jeune homme si abominable, qu’il voulut le provoquer et se battre. Comme il ne savait où chercher des témoins dans une pareille affaire, il s’adressa à Labordette. Celui-ci, stupéfait, ne put s’empêcher de rire.

— Un duel pour Nana… Mais, cher monsieur, tout Paris se moquerait de vous. On ne se bat pas pour Nana, c’est ridicule.

Le comte devint très pâle. Il eut un geste de violence.

— Alors, je le souffletterai en pleine rue.

Pendant une heure, Labordette dut le raisonner. Un soufflet rendrait l’histoire odieuse ; le soir, tout le monde saurait la véritable cause de la rencontre, il serait la fable des journaux. Et Labordette revenait toujours à cette conclusion :

— Impossible, c’est ridicule.

Chaque fois, cette parole tombait sur Muffat, nette et tranchante comme un coup de couteau. Il ne pouvait même se battre pour la femme qu’il aimait ; on aurait éclaté de rire. Jamais il n’avait senti plus douloureusement la misère de son amour, cette gravité de son cœur perdue dans cette blague du plaisir. Ce fut sa dernière révolte ; il se laissa convaincre, il assista dès lors au défilé des amis, de tous les hommes qui vivaient là, dans l’intimité de l’hôtel.

Nana, en quelques mois, les mangea goulûment, les uns après les autres. Les besoins croissants de