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NANA

ne montèrent pas tout de suite. Elles avaient aperçu Fontan, les mains dans les poches, flânant, très amusé des bonnes têtes de la foule. Quand il sut que Nana était en haut, malade, il dit en jouant le sentiment ;

— La pauvre fille !… Je vais lui serrer la main… Qu’a-t-elle donc ?

— La petite vérole, répondit Mignon.

L’acteur avait déjà fait un pas vers la cour ; mais il revint, il murmura simplement, avec un frisson :

— Ah ! bigre !

Ce n’était pas drôle, la petite vérole. Fontan avait failli l’avoir à l’âge de cinq ans. Mignon racontait l’histoire d’une de ses nièces qui en était morte. Quant à Fauchery, il pouvait en parler, il en portait encore les marques, trois grains à la naissance du nez, qu’il montrait ; et comme Mignon le poussait de nouveau, sous le prétexte qu’on ne l’avait jamais deux fois, il combattit cette théorie violemment, il cita des cas en traitant les médecins de brutes. Mais Lucy et Caroline les interrompirent, surprises de la cohue croissante.

— Voyez donc ! voyez donc ! en voilà du monde.

La nuit grandissait, des becs de gaz dans le lointain s’allumaient un à un. Cependant, aux fenêtres, on distinguait des curieux, tandis que, sous les arbres, le flot humain s’enflait de minute en minute, dans une coulée énorme, de la Madeleine à la Bastille. Les voitures roulaient avec lenteur. Un ronflement se dégageait de cette masse compacte, muette encore, venue par un besoin de se mettre en tas et piétinant, s’échauffant d’une même fièvre. Mais un grand mouvement fit refluer la foule. Au milieu des bourrades, parmi les groupes qui s’écartaient, une bande d’hommes en casquette et en blouse blanche