Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/16

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ble encore ; mais je me contente de m’enfermer et de travailler. C’est la seule façon de discuter sainement ; car les œuvres ne sont que des arguments, dans l’éternelle discussion du beau.

Tu penses bien que je ne suis pas sorti intact de la bataille. J’ai des cicatrices un peu partout, je te l’ai dit, au cerveau et au cœur. Je ne riposte plus, j’attends qu’on s’habitue à mon air. Peut-être ainsi pourrai-je te revenir entier. C’est que, mon amie, j’ai quitté nos galants sentiers d’amoureux, où les fleurs poussent, où l’on ne cueille que des sourires. J’ai pris la grand’route, grise de poussière, aux arbres maigres ; je me suis même, je le confesse, arrêté curieusement devant des chiens crevés, au coin des bornes ; j’ai parlé de vérité, j’ai prétendu qu’on pouvait tout écrire, j’ai voulu prouver que l’art est dans la vie et non ailleurs. Naturellement, on m’a poussé au ruisseau. Moi, Ninon, moi qui ai employé ma jeunesse à glaner pour ton corsage les paquerettes et les bluets !

Tu me pardonneras mes infidélités d’amant. Les hommes ne peuvent rester toujours dans les jupes des filles. Il vient une heure où vos fleurs sont trop douces. Tu te rappelles la pâle soirée d’automne, la soirée de nos adieux ? C’est au sortir de tes bras frêles, que la vérité m’a emporté