Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/171

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confitures qui sont renommées à plus de dix lieues à la ronde. J’en ai mangé. On dirait, selon l’heureuse expression des paysans, qu’on avale « la culotte de velours du bon Dieu. »

Je connais un de ces cimetières étroits de village où il y a des groseilliers superbes, hauts comme des arbres. Les groseilles, rouges sous les feuilles vertes, ressemblent à des grappes de cerises. Et j’ai vu le bedeau venir, le matin, avec une miche de pain sous le bras, et déjeuner tranquillement, assis sur le coin d’une vieille pierre tombale. Une bande de moineaux l’entouraient. Il cueillait les groseilles, il jetait des mies de pain aux moineaux ; tout ce petit monde-là mangeait avec un grand appétit sur la tête des morts.

C’est une fête pour le cimetière. L’herbe pousse, drue et forte. Dans un coin, des touffes de coquelicots mettent une nappe rouge. L’air vient largement de la plaine, soufflant toutes les bonnes odeurs des foins coupés. À midi, les abeilles bourdonnent dans le soleil ; les petits lézards gris se pâment, la gueule ouverte, buvant la chaleur, au bord de leur trou. Les morts ont chaud ; et ce n’est plus un cimetière, c’est un coin de la vie universelle, où l’âme des morts passe dans le tronc des arbres, où il n’y a plus qu’un vaste baiser de ce