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élans de honte et de courage qui les ramenaient sous les balles.

Je ne pouvais entendre les cris des blessés, ni voir couler le sang. Je distinguais seulement, pareils à des points noirs, les morts que les bataillons laissaient derrière eux. Je me mis à regarder avec curiosité les mouvements des troupes, m’irritant contre la fumée qui me cachait une bonne moitié du spectacle, trouvant une sorte de plaisir égoïste à me savoir en sûreté, tandis que les autres mouraient.

Vers neuf heures, on nous fit avancer. Nous descendîmes le coteau au pas gymnastique, nous dirigeant vers le centre qui pliait. Le bruit régulier de nos pas me parut funèbre. Les plus braves d’entre nous haletaient, pâles, les traits tirés.

Je me suis promis de dire la vérité. Aux premiers sifflements des balles, le bataillon s’arrêta brusquement, tenté de fuir.

— En avant, en avant ! criaient les chefs.

Mais nous étions cloués au sol, baissant la tête, lorsqu’une balle sifflait à nos oreilles. Ce mouvement est instinctif ; si la honte ne m’avait retenu, je me serais jeté à plat ventre dans la poussière.

Devant nous, il y avait un grand rideau de fumée que nous n’osions franchir. Des éclairs rouges