Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/262

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M. de Montrevert, ferme et droit sur son cheval, regardant tranquillement du côté de l’ennemi. Cet homme me parut gigantesque. Il n’avait pas de fusil pour se distraire, et sa poitrine s’étalait toute large au-dessus de nous. De temps à autre, il abaissait ses regards, il nous criait d’une voix sèche :

— Serrez les rangs, serrez les rangs !

Nous serrions les rangs comme des moutons, marchant sur les morts, hébétés, tirant toujours. Jusque-là, l’ennemi ne nous avait envoyé que des balles ; un éclat sourd se fit entendre, un boulet nous emporta cinq hommes. Une batterie, qui devait être en face de nous et que nous ne pouvions voir, venait d’ouvrir son feu. Les boulets frappaient en plein tas, presqu’au même endroit, faisant une trouée sanglante que nous bouchions sans cesse, avec un entêtement de brutes farouches.

— Serrez les rangs, serrez les rangs ! répétait froidement le colonel.

Nous donnions de la chair humaine au canon. À chaque soldat qui tombait, je faisais un pas de plus vers la mort, je me rapprochais de l’endroit où les boulets ronflaient sourdement, écrasant les hommes dont le tour était venu de mourir. Les