Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/264

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flanc, dans la poussière. Une stupeur profonde m’anéantissait. Les yeux grands ouverts, je regardais devant moi, sans rien voir ; il me semblait que je n’avais plus de membres et que mon cerveau était vide. Je ne souffrais pas, car la vie paraissait s’en être allée de ma chair.

Un soleil lourd, implacable, tombait sur ma face comme du plomb fondu. Je ne le sentais pas. Peu à peu la vie me revint ; mes membres devinrent plus légers, mon épaule seule resta broyée par un poids énorme. Alors, avec l’instinct d’une bête blessée, je voulus me mettre sur mon séant. Je poussai un cri de douleur et je retombai sur le sol.

Mais je vivais maintenant, je voyais, je comprenais. La plaine s’élargissait nue et déserte, toute blanche au grand soleil. Elle étalait sa désolation sous la sérénité ardente du ciel ; des tas de cadavres dormaient dans la chaleur, et les arbres abattus semblaient d’autres morts qui séchaient. Il n’y avait pas un souffle d’air. Un silence effrayant sortait des tas de cadavres ; puis, par instants, des plaintes sourdes qui traversaient ce silence, lui donnaient un long frisson. À l’horizon, sur les coteaux, de minces nuages de fumée traînaient, tachaient seuls de gris le bleu éclatant du ciel. La tuerie continuait sur les hauteurs.