Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/266

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« Mon cher enfant,

« J’apprends que la guerre est déclarée, et j’espère encore que tu recevras ton congé avant l’ouverture de la campagne. Chaque matin, je prie Dieu de t’épargner de nouveaux dangers ; il m’exaucera, il voudra bien que tu puisses un jour me fermer les yeux.

« Ah ! mon pauvre Jean, je deviens vieux, j’ai grand besoin de ton bras. Depuis ton départ, je ne sens plus à mon côté ta jeunesse qui me rendait mes vingt ans. Te souviens-tu de nos promenades du matin dans l’allée de chênes ? Maintenant, je n’ose plus aller sous ces arbres ; je suis seul, j’ai peur. La Durance pleure. Viens vite me consoler, apaiser mes inquiétudes… »

Les sanglots me suffoquaient, je ne pus continuer. À ce moment, un cri déchirant se fit entendre à quelques pas de moi ; je vis un soldat se dresser brusquement, la face contractée ; il leva les bras avec angoisse, et s’abattit sur le sol, où il se tordit dans des convulsions effroyables ; puis, il ne bougea plus.

« J’ai mis mon espoir en Dieu, continuait mon oncle, il te ramènera à Dourgues sain et sauf, nous recommencerons notre douce vie. Laisse-moi rêver tout haut, te dire mes projets d’avenir.