Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/81

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percevais sa pauvre tête grise tremblante d’émotion.

Je m’arrêtai, le regardant en face. Je lui tendis la main, toute large.

Il leva la tête, hésita, me regarda en face à son tour. Je vis ses gros yeux s’agiter et sa face jaune se tacher de rouge. Puis, me prenant le bras brusquement, il m’accompagna dans mon grenier, où il retrouva enfin la parole.

— Vous êtes un brave jeune homme, me dit-il ; votre poignée de main vient de me faire oublier bien des regards mauvais.

Et il s’assit, se confessant à moi. Il m’avoua qu’avant d’être de la partie, il se sentait, comme les autres, pris de malaise, lorsqu’il rencontrait un croque-mort. Mais, depuis ce temps, dans ses longues heures de marche, au milieu du silence des convois, il avait réfléchi à ces choses, il s’était étonné du dégoût et de la crainte qu’il soulevait sur son passage.

J’avais vingt ans alors, j’aurais embrassé un bourreau. Je me lançai dans des considérations philosophiques, voulant démontrer à mon voisin Jacques que sa besogne était sainte. Mais il haussa ses épaules pointues, se frotta les mains en silence, en reprenant de sa voix lente et embarrassée :