Page:Zola - Travail.djvu/123

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elle aurait reconquis l’Europe et où elle régnerait par le sabre. C’était stupide d’accuser le service militaire de désorganiser le travail. D’ailleurs, le travail de qui, le travail de quoi ? est-ce que ça existait ? Leur socialisme, une immense blague ! Il y aurait toujours des soldats, puis, par-dessous, des gens pour faire la corvée. Le sabre, au moins ça se voyait, mais qui est-ce qui avait jamais vu l’idée, la fameuse idée, la prétendue reine du monde ? Et il riait de son propre esprit, et le bon Mazelle, qui avait le respect profond de l’armée, riait avec lui, par complaisance ; tandis que Lucile, sa fiancée, coulait ses fins regards d’amoureuse énigmatique, l’examinant en dessous, avec un petit sourire singulier, comme amusée à l’idée du mari qu’il ferait. À l’autre bout de la table, le jeune Achille Gourier se renfermait dans le même silence de témoin et de juge, les yeux luisants de tout le mépris que lui causaient sa famille et les amis avec qui elle le forçait à déjeuner.

Mais, de nouveau, une voix s’éleva, fut entendue de toute la table, au moment où l’on servait un pâté de foie de canard, une véritable merveille. C’était la voix de Mme Mazelle, muette jusque-là, enfoncée dans son assiette, soignant sa maladie, qui réclamait une forte nourriture. Et, comme Boisgelin, tout à Fernande, la négligeait, elle s’était rabattue sur Gourier, elle lui expliquait son ménage, son entente si parfaite avec son mari, ses idées sur l’instruction qu’elle ferait donner à sa fille Louise.

« Je ne veux pas qu’on lui casse la tête, ah ! non ! Pourquoi donc se ferait-elle du mauvais sang ? Elle est fille unique, elle héritera de toutes nos rentes. »

Brusquement, Luc céda au besoin de protester, sans réfléchir, par simple malice.

« Vous ne savez donc pas, madame, qu’on va supprimer l’héritage ? Oh ! très prochainement, lorsqu’on organisera la société nouvelle. »