Page:Zola - Travail.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Et il expliqua donc que, depuis six mois, il laissait dormir son four, tout entier à l’étude du transport de la force électrique. Ne serait-ce pas déjà une économie que de brûler le charbon à la sortie même de la mine, puis d’envoyer la force électrique par des câbles aux usines éloignées qui en auraient besoin ? C’était encore là un problème dont beaucoup de savants cherchaient la solution depuis plusieurs années, et le malheur était qu’ils se heurtaient tous à une déperdition de force considérable.

« Des expériences viennent encore d’être faites, dit Luc d’un air incrédule. Je crois bien qu’il n’y a pas d’économie possible. »

Jordan sourit avec son doux entêtement, la foi invincible qu’il apportait dans ses recherches, pendant les mois et les mois que lui coûtait parfois la moindre vérité à établir.

« Il ne faut jamais croire, avant d’avoir fait la certitude… J’ai déjà de bons résultats, on emmagasinera un jour la force électrique, on la canalisera, on la dirigera sans perte aucune. Et s’il me faut vingt ans, eh bien ! j’y mettrai vingt ans. C’est très simple, on se remet à la besogne chaque matin, on recommence, tant qu’on n’a pas trouvé… Qu’est-ce que je ferais donc, si je ne recommençais pas ? »

Il avait dit cela, d’un air de si naïve grandeur, que Luc fut saisi d’émotion, comme devant l’acte d’un héros. Et il le regardait si mince, si chétif, avec sa pauvre santé toujours compromise, toussant, agonisant sous ses foulards et ses châles, au milieu de cette immense salle que des appareils géants encombraient, traversée de fils qui portaient la foudre, emplie chaque jour davantage du labeur colossal de ce petit être qui s’y promenait, s’y efforçait, s’y acharnait, tel qu’un insecte perdu dans la poussière du sol. Où trouvait-il donc, non seulement l’énergie intellectuelle,