Page:Zola - Travail.djvu/179

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mangé d’une lèpre, allait crouler. Elle devenait comme la victime unique, la petite ouvrière chétive, à la main blessée, qui mourrait de faim, que la prostitution roulerait au cloaque, incarnant la misère du salariat en une pitoyable figure, dont le charme le possédait. Maintenant, il souffrait de ce qu’elle devait souffrir et son besoin était de la sauver, dans son rêve fou de sauver Beauclair. Si quelque puissance surhumaine lui avait donné tout pouvoir, il aurait changé la ville pourrie d’égoïsme en une heureuse Cité de solidarité, pour qu’elle y fût heureuse. Et il sentit bien alors que ce rêve, en lui, venait de loin, qu’il l’avait toujours fait, depuis qu’il vivait, à Paris, dans un quartier pauvre, parmi les héros obscurs et les dolentes victimes du travail. C’était comme l’inquiétude intérieure d’un avenir qu’il n’osait préciser, d’une mission dont il se sentait gros. Puis, brusquement, dans la confusion où il se débattait encore, l’heure sonnait, grave et décisive. Josine mourait de faim. Josine sanglotait, et cela ne pouvait se tolérer davantage. Il fallait agir enfin, aller tout de suite au secours de tant de misère et de tant de souffrance, pour que l’iniquité cessât.

Cependant, Luc, brisé de fatigue, finit par s’assoupir. Mais, tout d’un coup, il crut que des voix l’appelaient, il se réveilla en sursaut. N’étaient-ce pas des plaintes lointaines ? N’avait-il pas entendu des misérables en danger de mort crier à l’aide ? Dressé sur son séant il prêtait l’oreille, n’entendait plus que le frisson de l’ombre. Tout son cœur en restait meurtri, serré d’une angoisse affreuse par la certitude qu’à cette minute même des millions de pauvres êtres agonisaient sous l’écrasement de l’iniquité sociale. Puis, lorsque frémissant, il fut retombé sur l’oreiller, repris de somnolence, les appels retentirent de nouveau, le forcèrent à relever la tête, à écouter encore. Dans le demi-sommeil, les sensations