Page:Zola - Travail.djvu/213

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voulue, imposée par les propriétaires des instruments du travail, pour sauvegarder leurs profits. Ils réduisaient la production d’une usine, ils imposaient des jours de chômage, ils faisaient de la misère, dans un but de guerre économique, afin de maintenir les hauts prix. Et l’on s’étonnait, si la machine craquait, si elle s’effondrait sous un tel amas de souffrance, d’injustice et de honte !

« Non, non ! cria Luc, c’est fini, cela ne peut durer, sans que l’humanité disparaisse, en une crise dernière de démence. Le pacte est à reprendre, chaque homme qui naît à droit à la vie, et la terre est la fortune commune de tous. Il faut que les instruments du travail soient rendus à tous, il faut que chacun accomplisse sa part personnelle dans la besogne de tous… Si l’histoire, avec ses haines, ses guerres, ses crimes, n’a été jusqu’ici que le résultat abominable du vol initial, de la tyrannie des quelques voleurs qui ont eu le besoin de pousser les hommes à s’entr’égorger, d’instituer des tribunaux et des prisons, pour défendre leurs rapines, il est grand temps de recommencer l’histoire et de mettre au début de l’ère nouvelle un grand acte d’équité, les richesses de la terre rendues à tous les hommes, le travail redevenu la loi pour la société humaine, comme il l’est pour l’univers, afin que la paix se fasse parmi nous et que la fraternité heureuse règne enfin… Et cela sera, et j’y travaillerai, et je réussirai ! »

Il était si passionné, si grandi, si vainqueur, dans son exaltation prophétique, que Jordan, émerveillé, se tourna vers Sœurette pour lui dire :

« Regarde-le donc, est-il beau ! »

Mais Sœurette elle-même, frémissante, toute pâle d’admiration ne l’avait pas quitté des yeux, comme envahie d’une sorte de ferveur religieuse.

« Oh ! il est beau, murmura-t-elle très bas, et il est bon !