Page:Zola - Travail.djvu/243

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brusque. Nous deux, vous comprenez, nous voici à peu près d’accord, et nous ne sommes pas trop opposés aux nouveautés… Ce sont les autres qu’il s’agira de conquérir, et on aura du mal, je vous en avertis.  »

C’était la défiance du paysan contre toutes les transformations sociales, touchant à la forme actuelle de la propriété, et que Luc connaissait bien. Il s’y attendait, il continua de sourire. Lâcher son lopin de terre, qu’on a tant aimé depuis des siècles, de père en fils, le noyer dans les lopins des autres, quel arrachement  ! Mais les déboires de plus en plus cruels, cette faillite du sol trop divisé, jetant les cultivateurs à la désespérance et au dégoût, devait aider à les convaincre que l’unique salut possible est dans l’union, dans l’entente de toute une commune pouvant créer un vaste domaine. Et Luc parla, expliqua comment le succès était désormais aux associations. Il fallait opérer sur des champs élargis, avec des machines puissantes pour les labourer, les semer, les moissonner, avec des engrais abondants, fabriqués chimiquement dans des usines voisines, avec des arrosages continus, décuplant les récoltes. Si l’effort du paysan isolé aboutissait à la famine, une prodigieuse richesse se déclarerait, dès que tous les paysans d’un village se seraient associés, afin d’avoir les champs immenses, les machines, les engrais, les eaux nécessaires. On arrivait à faire le sol, on y déterminait une extraordinaire fécondité, en l’épierrant, le fumant, l’arrosant. On finirait même par le chauffer, il n’y aurait plus de saison. Un hectare suffirait à nourrir deux ou trois familles. Déjà, lorsqu’on opérait sur un champ restreint, on y obtenait des miracles, toute une poussée ininterrompue de légumes et de fruits. La population de la France pourrait tripler, le sol la nourrirait amplement, s’il était cultivé avec logique, dans l’harmonie de toutes les forces créatrices. Et ce serait aussi le bonheur, trois fois moins de douloureux