Page:Zola - Travail.djvu/281

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«  Notre homme est déjà touché, dit le directeur de l’Abîme. La prospérité de la Crêcherie n’est qu’apparente, et il suffirait d’un accident pour que tout croulât… Ainsi, tenez  ! ma femme me donnait un détail…

— Oui, continua Fernande, la bouche irritée, heureuse de se soulager un peu, je tiens le fait de ma blanchisseuse… Elle connaît Ragu, un de nos anciens ouvriers, qui nous a quittés pour aller à l’usine nouvelle. Eh bien  ! Ragu crie partout qu’il en a assez, de leur sale boîte, qu’on y meurt d’ennui, et qu’il n’est pas le seul, et qu’un de ces beaux matins ils vont tous revenir ici… Ah  ! qui donc commencera, portera le coup nécessaire, pour que ce Luc en soit renversé et s’écrase  !

— Mais dit Boisgelin venant à son aide, il y a le procès Laboque. J’espère bien que ça va suffire.  »

Un nouveau silence se fit, au moment où paraissait un canard au sang. Ce procès Laboque, qui était la vraie cause de cette réunion amicale, personne n’avait encore osé en parler, devant le silence que gardait le président Gaume. Il mangeait à peine, ses chagrins cachés lui ayant donné une maladie d’estomac, et il se contentait d’écouter les convives, en les regardant de ses yeux gris et froids, où il éteignait volontairement toute pensée. Jamais on ne l’avait trouvé si peu communicatif, cela finissait par devenir gênant, car on aurait voulu savoir sur quel terrain on marchait avec lui. Bien qu’il n’entrât dans la tête de personne qu’il pût donner gain de cause à la Crêcherie, on espérait qu’il aurait le bon goût de prendre un engagement, d’un mot suffisamment clair.

Ce fut encore le capitaine qui donna l’assaut.

«  La loi est formelle, n’est-ce pas, monsieur le président  ? Tout dommage fait à quelqu’un doit être réparé.

— Sans doute  », répondit Gaume.

On attendait davantage. Mais il s’était tu. Et l’affaire du