Page:Zola - Travail.djvu/292

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dans les jambes du monsieur, pour se faire entendre de plus près. «  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   » Pauvre gamin, qui donc lui avait appris déjà le cri de haine  ? Et ce fut pis, lorsque, dans le haut de la rue, on passa devant les fabriques. Des ouvrières de la cordonnerie Gourier parurent aux fenêtres battirent des mains, hurlèrent. Puis, il y eut même des ouvriers des usines Chodorge et Mirande, fumant sur le trottoir en attendant le coup de cloche de la rentrée, qui manifestèrent, dans l’hébétement de leur servitude. Un petit maigre, aux cheveux roux, aux gros yeux troubles, fut comme pris de démence, courant, gueulant plus fort que les autres  : «  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   »

Ah  ! cette montée de la rue de Brias, avec cette bande grossissante d’ennemis sur les talons, sous ce flot ignoble d’outrages et de menaces  ! Luc se rappelait le soir de son arrivée à Beauclair, il y avait quatre ans, lorsque le noir piétinement des déshérités, de meurt-de-faim, dans cette même rue, l’avait empli d’une telle pitié active, qu’il s’était juré de donner sa vie au salut des misérables. Qu’avait-il donc fait, depuis quatre ans, pour que tant de haines se fussent amassées contre lui, au point d’être ainsi traqué par la foule ameutée, hurlant à la mort  ? Il s’était fait l’apôtre de demain, d’une société de solidarité et de fraternité, réorganisée par travail ennobli, régulateur de la richesse. Il avait donné un exemple, cette Crêcherie où la Cité future était en germe, où régnait déjà le plus de justice et le plus de bonheur possible. Et cela suffisait, la ville entière le considérait comme un malfaiteur, il la sentait derrière cette bande qui aboyait à ses trousses. Mais quelle amertume, quelle souffrance, dans cette aventure commune du calvaire que tout juste doit gravir, sous les coups de ceux mêmes dont il veut le rachat  ! Ces bourgeois dont il troublait la digestion tranquille,